Les affligés - Couverture souple

L'Argyllshire taillait sa route à travers l'océan. Appuyé au bastingage, le sergent Quinn Walker écoutait l'inlassable murmure des vagues tout en contemplant les effets de lumière à la surface des eaux. Sa cigarette n'était plus qu'un mégot détrempé entre ses doigts aux extrémités aussi jaunes que des touches de piano en ivoire. Ses cheveux étaient à présent mouchetés de gris, mais ses yeux aussi, comme si la cendre des années se déposait à travers ses entrailles, allant peut-être jusqu'à encrasser son foie et son coeur. À vingt-six ans, il faisait plus vieux que son âge. Ce n'était plus le gamin d'autrefois : il était devenu secret, attentif à la tournure des événements, un homme perpétuellement sur le départ.
Une bande de dauphins se faufilait dans l'eau, tournoyant et se tenant suspendus en l'air une fraction de seconde avant de s'évanouir de nouveau sous les flots. Des oiseaux se doraient dans les arcs-en-ciel apparus dans l'écume. Impossible d'observer l'océan sans imaginer ce qui pouvait évoluer dans ces profondeurs ténébreuses : baleines et requins ; poissons glapisseurs ; iguanes rôdant sur les lits de coraux ; le majestueux Léviathan. Toutes créatures connues ou inconnues.
D'une poche de son uniforme, il tira sa Croix Militaire, médaille distinguant des faits d'armes accomplis au cours d'une nuit dont il ne gardait aucun souvenir - et pourtant, il n'y avait guère plus de deux ans de cela. Hormis, peut-être, les rafales de mitraillettes, les gémissements, ce goût de terre dans la bouche - mais ces sensations-là, c'était le quotidien du soldat. Parmi tout ce dont il pouvait avoir légitimement honte dans sa vie, c'était peut-être cette médaille, le pire. Bravoure remarquable, disait la citation, et sens du devoir. A manifesté un grand courage en secourant des hommes ensevelis dans des galeries et accompli un travail utile et constant en toutes circonstances. Les quatre pointes s'enfonçaient dans sa paume. Quelle farce ! Le danger qu'il courait personnellement, il s'en foutait complètement : rien à voir avec du courage.
S'étant assuré que nul ne l'observait, il jeta la médaille par-dessus les vagues d'un ample mouvement du bras. La perdre de vue aussitôt fut une déception ; il avait compté sur la cruelle satisfaction de la voir décrire un arc-de-cercle scintillant, miroiter au soleil, et disparaître avec un «plouf» minuscule dans le vaste océan. Enfin, aucune importance. Bon débarras.

Alors que la Grande Guerre est enfin terminée, une épidémie de grippe espagnole ravage l'Australie. Dans une atmosphère de fin du monde, des hommes en armes bloquent les routes et parcourent les campagnes pour imposer la quarantaine. Quinn Walker, un soldat démobilisé et hanté par ce qu'il a vécu, retrouve la petite ville de Flint en Nouvelle-Galles du Sud, qu'il avait quittée dix ans plus tôt, après avoir été accusé à tort d'un crime effroyable. Persuadé que son père et son oncle le pendront s'ils le trouvent, Quinn décide de se cacher dans les collines avoisinantes. Il y rencontre une gamine mystérieuse, qui l'encourage à réclamer justice et semble en savoir plus qu'elle ne le devrait sur son supposé crime... Roman sombre et lumineux où il est question d'amour, de rédemption, de regret et de vengeance, Les Affligés est un livre fort, qui nous parle aussi des souffrances qu'impose la guerre tant à ceux qui partent au front, qu'à ceux restés derrière pour toujours.