Notre famille - Couverture souple

Mon père est d'un naturel sombre. À la retraite depuis trois ans, il ne parle pas beaucoup. Livré à lui-même, il peut rester muet pendant des jours entiers. Dans ces cas-là, il commence à ruminer, à avoir de drôles d'idées. Récemment, il m'a déclaré que j'étais égoïste, que je l'avais toujours été, que, bébé, je pleurais dès qu'il allumait la télévision. J'ai quarante ans et lui soixante-douze. Quand il a dit ça, je me suis mis à le taquiner. J'étais chez mes parents, dans le New Jersey, assis sur le canapé du salon. «Qui est le bébé grognon ? ai-je répliqué. Qui est le bébé qui pleurniche tout le temps ?
- Fous-moi le camp, a-t-il glapi en se tassant sur lui-même et en essayant de se défiler. Arrête de faire le mariole, je ne plaisante pas.» Mon père a le teint légèrement cuivré, la peau qui tombe sous le menton et des lobes d'oreilles minces et allongés comme ceux de certains vieillards.
Ma mère est plus enjouée que mon père. «Fais comme moi, lui dit-elle souvent. Tu vois tous les amis que j'ai ? Regarde comme je souris sans cesse.» Mais ma mère, elle aussi, a ses moments de cafard. Quand ça arrive, elle soupire : «Je m'ennuie. Qu'est-ce que c'est que cette vie ? Où est Ajay ? À quoi sert de l'avoir élevé ?»
Aussi loin que je me souvienne, mes parents se sont toujours agacés réciproquement.
En Inde, nous habitions deux pièces en ciment sur le toit d'une maison de deux étages, à Delhi. Les toilettes étaient séparées et un lavabo était fixé à l'un des murs extérieurs. Chaque soir, mon père se tenait devant, sous le ciel plein d'étoiles, et se brossait les dents jusqu'à se faire saigner les gencives. Il crachait le sang dans le lavabo et, se tournant vers ma mère, déclarait : «La mort, Shuba, la mort. Quoi que nous fassions, nous mourrons tous.
- Oui, c'est ça, bats le tambour, lui répondit un jour ma mère. Informes-en aussi la presse. Assure-toi que tout le monde est au courant de ce que tu viens de découvrir.» Comme beaucoup de gens de sa génération, nés avant l'Indépendance, ma mère considérait la morosité comme antipatriotique. Se plaindre, c'était montrer qu'on refusait d'accepter les difficultés et de fournir l'effort nécessaire à la construction du pays.
Mon père a deux ans de plus que ma mère. Contrairement à elle, il ne voyait autour de lui que malhonnêteté et égoïsme, et, de plus, était persuadé que tout le monde en était témoin et choisissait de les ignorer.
L'irritation de ma mère lorsqu'il crachait du sang dans le lavabo, il l'interprétait comme de l'hypocrisie.

Ajay n'a pas dix ans lorsque sa famille quitte l'Inde pour s'installer aux États-Unis. Lui et son grand frère Birju découvrent émerveillés ce pays étonnant, promesse d'un avenir radieux. Mais pour Birju, le destin va en décider autrement.
Dans l'ombre de son frère aîné, Ajay reste seul à porter les espoirs de ses parents. Adolescent rêveur réfugié dans la littérature, tiraillé entre deux cultures, il va devoir lutter pour trouver sa voie - sans jamais oublier les siens.

Akhil Sharma ne nous cache rien des pensées d'Ajay, y compris les plus dérangeantes. Il livre avec Notre famille un récit bouleversant, marqué par un humour et une force de vie inextinguibles.

Akhil Sharma est né en Inde en 1971. Son premier roman, Un père obéissant (L'Olivier, 2003), a été salué par le prix Pen / Hemingway. Notre famille, qu'il a mis dix ans à écrire, a rencontré un très grand succès public et critique.

«On est touché en plein coeur devant tant de beauté.»
The New York Times

«Notre famille possède cette qualité propre aux écrits les plus puissants : la force de la vérité.»
Elle